Par Jonathan Cohen, président du comité numérique de l’OEC Paris Ile-de-France
@MrCohenJonathan
Legaltech, Big Data, Open Data, Intelligence artificielle, Blockchain, Smart Contracts, Ubérisation etc. autant de concepts qui viennent frontalement bouleverser la pratique, la perception du métier d’avocat, mais aussi notre activité juridique exercée à titre accessoire. Comment les institutions y font face ? De quelles façons les avocats répondent à cette révolution numérique ? Quelle sera la place de l’avocat dans une société full digitale. Autant de questions, à laquelle notre profession doit elle aussi savoir répondre.
CES LEGALTECH QUI ONT RÉVOLUTIONNÉ LE DROIT
Avant que Big Data et Intelligence Artificielle ne deviennent les buzzword du moment, les Legaltech, nées aux Etats-Unis dans les années 2000, sont arrivées en France à partir de 2010.
Une des premières à disrupter le marché des avocats est la start-up demanderjustice.com permettant aux particuliers de régler sans avocat tous leurs litiges quotidiens. Puis l’arrivée quasi-simultanée de Legalstart et de Captain Contrat a définitivement acté l’exportation du phénomène en France.
Les Legaltech se positionnent aujourd’hui sur différents créneaux, tels que Lebonbail (rédaction gratuite d’un contrat de bail en ligne), Testamento (plateforme numérique permettant la rédaction d’un testament olographe sans se déplacer), ou Weclaim (plateforme automatisant les litiges liés au retard d’avion), en venant concurrencer directement les prestations des avocats, notamment celles à faible valeur ajoutée. D’autres, comme la plateforme E-just, permettent de résoudre les litiges commerciaux en ligne via l’arbitrage pour un coût fortement réduit.
Plus récemment Rocket Lawyer, première Legaltech américaine, a lancé son offre en France permettant de répondre gratuitement à 80 % des problèmes légaux. Pour les 20 % restants, le site référence des avocats qu’il a lui-même sélectionnés aux tarifs raisonnables. Aux Etats-Unis, le site a été le premier a publié ouvertement les honoraires des avocats présentés, ce qu’il a décidé de faire prochainement en France.
ET CE N’EST PAS FINI !…
Indéniablement, toutes les Legaltech – de la génération de document, à l’assistance aux litiges en passant par le conseil fiscal – vont intégrer de plus en plus le Big Data et l’intelligence artificielle. Citons par exemple Doctrine.fr, véritable « Google du droit », qui se sert de l’Intelligence artificielle (IA) pour optimiser les recherches jurisprudentielles, ou encore la société Predictice, dont l’algorithme calcule en un clic les probabilités de résolution d’un litige, le montant des indemnités et identifie les moyens les plus influents devant chaque tribunal.
Aux USA, un cabinet d’avocats a engagé son premier robot avocat, Ross, ou plus précisément une intelligence artificielle, développée grâce au programme Watson d’IBM, chargé d’assister (dans un premier temps…) les collaborateurs juniors du département restructuring dans la recherche et l’étude des milliers de documents de la jurisprudence du droit des faillites.
Récemment, JP Morgan Chase & Co a développé un programme appelé COIN (Contract Intelligence), afin d’examiner les contrats de prêt, tache dévolue aux juristes internes, représentant 360 000 heures chaque année. Ce programme de machine learning a permis de réduire le temps de traitement à quelques secondes.
De même, la Blockchain, et surtout les Smart Contracts, programmes informatiques autonomes qui exécutent, sans autre intervention humaine, les conditions et termes d’un contrat défini à l’origine (fonctions « if », « then »), bousculent le champ d’intervention des avocats. Dès lors, son rôle d’assistance lors de l’exécution ou de l’interprétation d’un contrat sera quasi-inexistant avec l’émergence de cette technologie.
UBERISATION ? DISRUPTION ? NOTATION ?
De nombreux avocats considèrent que le terme ubérisation n’est pas applicable à ce stade et préfèrent évoquer l’expression de « disruption du marché du droit ». Force est pourtant de constater que si l’on considère qu’« uberiser » consiste à « permettre à des professionnels d’entrer en relation direct avec des clients, de façon simple, fluide et rapide, grâce à l’utilisation de nouvelles technologies par l’intermédiaire d’une plateforme », les avocats ne peuvent pas y échapper !
De nombreuses Legaltech ont pour le moment comme finalité de mettre en relation les clients avec des avocats qu’ils ont eux-mêmes référencés comme spécialistes sur un secteur.
Mais certaines proposent directement une offre de mise en relation entre avocats et clients (Callalawyer, Alexia, Nubu…), sans pour autant proposer des prestations juridiques (exception faite de Rocket Lawyer).
Dernièrement, la Cour de cassation a autorisé la comparaison et la notation d’avocats par des sites Internet n’émanant pas de la profession ! Dès lors que le processus de notation complète de la société est en marche, comment ne pas considérer que l’ubérisation est en cours : plateforme de référencement, système de notation, stratégie du like par les avocats ?
L’avocat, mais surtout la prestation juridique, devient un objet de consommation comme un autre, où le consommateur digital veut pouvoir choisir vite, donner son avis, changer rapidement ! On pourrait donc s’interroger sur ce qui justifie qu’un service, qu’il soit informatique, marketing, juridique ou comptable…, bénéficie d’une protection différente de la part du législateur sous l’égide de l’intérêt général.
QUELLES RÉPONSES APPORTENT LES INSTITUTIONS ?
Dans un premier temps, la réponse des instances dirigeantes a été la condamnation de ces sociétés, de ces pratiques et le procès, avec les résultats que l’on connait (le CNB a perdu en 2017, devant la Cour de cassation, deux procès majeurs : celui contre la plateforme de notation alexia.fr et celui contre la plateforme demanderjustice.com).
Louis Degos, président de la commission Prospective du CNB précise à juste titre que « le juridisme pour dresser des barrières anticoncurrentielles n’est pas un positionnement de marché : c’est une négation du marché. Les Legaltechs viennent récupérer deux pans de marché : celui que les avocats ont toujours délaissé, car impossible à rentabiliser, et celui que les clients ne veulent plus confier aux avocats, car autrement mieux rentabilisable. »
Une des initiatives qu’il nous faut saluer est la création au sein de nombreux barreaux d’incubateurs. Le premier est né à Paris, mais les Barreaux de Marseille, Lyon, Toulouse ont suivi. « Ils répondent à la volonté de justement créer des ponts entre les avocats et les Legaltechs, pour éviter que les avocats ne soient les taxis de demain », avance Frédéric Pelouze, l’un des cofondateurs de l’incubateur du Barreau de Paris.
Qu’on se le dise, derrière cette initiative originale se cache surtout la volonté de faire une veille et d’être proactif sur les différents projets lancés au niveau local, impactant directement ou indirectement la profession. Par ailleurs, le CNB organise depuis deux ans des Etats généraux de la Prospective et de l’Innovation, afin d’anticiper et de préparer les évolutions à venir.
Open Law, « l’innovation au service du droit », va plus loin. Il s’agit d’une association, regroupant des institutions publiques et privées, dont l’un des objectifs est de repenser l’enseignement du droit (aucun cours n’est consacré au numérique dans les études de droit…) et de réfléchir aux compétences nécessaires et à la formation du juriste du futur face à cette révolution numérique.
ET LES AVOCATS DANS TOUT ÇA ?
Devant la crainte d’une perte de marché, certains avocats ont pris les devants et ont lancé leurs propres Legaltech, comme Mafiscalité.com (plateforme d’assistance fiscale en ligne permettant le conseil et l’assistance en matière fiscale) ou encore Entreprises.avocat-omer.fr (cabinet d’avocats en ligne dédié au divorce amiable).
D’autres ont pris le parti de participer, notamment les jeunes avocats, à la sécurisation des documents générés par les différentes solutions en devenant avocat référent. L’idée générale qui sous-tend ces initiatives portées par des avocats est que l’information doit être en tout ou partie gratuite et que l’accent doit être mis sur la relation client. Le besoin d’obtenir une information fiable et pertinente permet la génération de nouveaux besoins clients et une nouvelle approche du métier. En définitive, les avocats se doivent d’innover et cela paye !
Le rapport 2017 sur l’état du marché du droit, publié par Thomson Reuters et l’université de Georgetown aux USA, constate de façon nette que les firmes innovantes sont les structures les plus rentables et que la demande pour leurs services est la plus forte.
A NOUS DE JOUER !
On le sait, les mutations profondes de la société impactent toutes les professions, toutes les organisations, tous les métiers. Dans ces quelques lignes, il va sans dire qu’on pourrait aisément remplacer les mots « avocat » par « expert-comptable » et « Legaltech » par « Accountech ». Il est donc urgent, pour les avocats, comme pour nous, de définir de nouveaux modèles : d’organisation, de mission, de travail. Le rapport de la commission Haeri sur l’avenir de la profession d’avocat, le montre d’ailleurs bien : le développement de compétences dites soft skills, la formation et l’adaptabilité des jeunes confrères sont de notre ressort et nous devons y travailler dès aujourd’hui. Un rapport qu’il est urgent de lire pour s’inspirer… avant de passer à l’action et d’innover !
L’AVENIR POUR LA PROFESSION D’AVOCAT, SELON LA COMMISSION HAERI
La comm ❱ l’agilité et l’innovation, en développant une culture collaborative, innovante et entrepreneuriale, en développant la création d’incubateurs, d’observatoires de l’innovation gérés par des jeunes avocats, en intégrant une sensibilisation au codage et à l’économie numérique dans la formation initiale, ❱ la mobilité, pour permettre la création d’une grande profession du droit, avec les avocats et les juristes d’entreprises, en développant également l’interprofessionnalité. |