Rétive à la culture du risque, la France semble s’obstiner à vouloir opposer échec et réussite… Et si on essayait plutôt de voir dans l’échec une clé d’apprentissage, voire un moteur d’élévation ? C’était tout l’objet d’une conférence organisée le 7 septembre 2017 dans le cadre des Universités d’été.
« Racontez-moi votre plus belle plantade ». Aux États-Unis, se “planter” n’est pas une tare. C’est au contraire un passeport pour l’emploi et le prêt bancaire. Sans erreur de parcours sur le CV, ni crédibilité, ni crédit. En France, non seulement il faut réussir, mais si possible du premier coup.
N’y a-t-il pas un fourvoiement dans cette obstination à opposer échec et réussite ? Le premier n’est-il pas consubstantiel à la seconde ? Ne faudrait-il pas réinterroger profondément la notion d’échec ? Chiche !
Aux EU, l'échec est un passeport pour l'emploi & le prêt bancaire: pourquoi pas chez nous ?! Cliquez pour tweeter
Le 7 septembre 2017, lors de ses Universités d’été à l’Université Paris Descartes, l’Ordre des experts-comptables d’Ile-de-France relevait le défi, le temps d’une conférence dédiée à un thème intimement lié à celui de l’échec : le rebond.
Quels sont les ressorts qui font que l’on parvient à s’extraire d’une situation pour avancer, ou pour bifurquer ?
Sommes-nous tous égaux face à l’échec ? Plusieurs personnalités du monde philosophique, entrepreneurial et managérial ont décrypté le diptyque échec-rebond.
1. Je rebondis, donc je suis
« La logique qui oppose échec et réussite tient beaucoup plus à la norme sociale qu’au réel », a expliqué la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury. Non seulement l’échec n’est pas négatif, mais c’est au contraire quand on en fait le deuil qu’on se fragilise. « L’érosion, la fatigue d’être soi ne naissent pas de l’échec, mais du fait que l’on y ait renoncé. Se met alors en place un processus dangereux d’abandon de ses propres principes». Il est nécessaire de “faire sujet”, c’est-à-dire d’essayer de faire coïncider ses principes et ses pratiques. Le rebond signe réconciliation du sujet avec lui-même.
La logique qui oppose échec et réussite tient + à la norme sociale qu’au réel #savoirrebondir Cliquez pour tweeterCar le rebond est d’abord une dynamique. Un mouvement à la fois transitoire et déterminant entre une situation et une autre. En rebondissant, on est toujours dans l’action. “Dans l’existence et non dans l’essence”, a précisé le philosophe Charles Pépin. Il y a dans la notion de rebond une résonance vitale, vitaliste même. Et pour cause : rebondir, c’est non seulement sortir de l’échec, mais c’est transformer et dépasser l’échec. En rebondissant, on ramène l’échec à sa vérité dédramatisée : une étape nécessaire, mieux, un moteur. Charles Pépin s’est ainsi livré à un véritable éloge du ratage : on ne rate pas parce qu’on est inintelligent ou mal éduqué, on rate parce qu’on peut s’affranchir du seul instinct naturel, autrement dit parce qu’on est libre.
2. L’échec est la clé du savoir
Pour étayer son propos, le philosophe s’est livré à une comparaison animalière. Prenons, un petit poulain. Quelques minutes après sa naissance, il sait déjà marcher. Un bébé, lui, tombera 2 000 fois avant de faire ses premiers pas. Mais toute sa vie, le cheval marchera de la même manière, quand l’homme saura se déplacer à vélo, en voiture, en avion. « Nous sommes des enfants de la défaillance de l’instinct. C’est en ratant que nous apprenons. La culture naît du ratage et de l’expérience du ratage», a insisté Charles Pépin, rappelant que la science avance parce que les chercheurs se trompent, interrogent leurs erreurs et les rectifient. « J’ai beaucoup plus appris de mes échecs que de mes succès », a confirmé l’entrepreneur Philippe Lapidus, déroulant son parcours pour montrer qu’on interroge rarement ses réussites, alors qu’on essaie toujours d’analyser les raisons de l’échec. Sentiment partagé par Stéphane Degonde, conférencier, coach d’entrepreneurs, auteur de « J’ose entreprendre ! », qui a raconté comment les aléas de l’entrepreneuriat avaient cimenté sa construction personnelle et professionnelle. C’est en effet la rencontre avec la résistance du réel qui stimule la volonté de comprendre, a expliqué Charles Pépin, précisant que cette lecture vertueuse de l’échec appelle néanmoins quatre conditions : reconnaître l’échec, ne pas s’y identifier, écouter ce qu’il nous dit, faire en sorte qu’il augmente notre qualité humaine.
3. Le succès n’a de valeur que si on s’en débarrasse
Dans cette vision positive de l’échec, que devient la réussite ? La stratégie et les sciences de gestion nous invitent à nous en méfier. Nokia, Black Berry, Courtepaille ou encore Kodak : toutes ces entreprises sont mortes d’avoir trop tiré sur le même fil. « Le pire ennemi de l’innovation, c’est la spécialisation », a expliqué Frédéric Fréry, professeur de stratégie et de management
de l’innovation à l’ESCP. Gare au syndrome du succès, car vient toujours le moment où l’environnement change et où les modèles en place, si performants fussent-ils, deviennent obsolètes. Kodak a renoncé à passer au numérique au seul motif que l’argentique était l’un des filons les plus rentables du monde industriel. « Kodak est mort riche », a blagué Frédéric Fréry. On dit souvent que le succès aveugle. C’est pire, il assèche : « C’est pourquoi il faut toujours tuer la poule aux œufs d’or et ne jamais optimiser ses processus. » Et le professeur à l’ ESCP de citer Intel, dont la longévité repose sur la capacité de ses dirigeants à résilier chaque innovation dès qu’elle atteint le leadership.
4. Le leadership est une drogue dangereuse
Le leadership, il faut s’en méfier, mais pour d’autres raisons, a insisté Olivier Torres, président d’Amarok, Observatoire de la Santé des dirigeants de PME : « Non, il n’y a pas un bon et un mauvais stress. Le stress est toujours mauvais pour la santé. Tout comme la surcharge de travail, et comme la solitude du dirigeant. » Pour cet enseignant-chercheur, la figure entrepreneuriale est prisonnière de l’emprise obsessionnelle du leadership. Car quand un entrepreneur faillit, il tombe de haut. « Le risque épidémiologique de burn out chez les entrepreneurs est de 15 % », a lancé Olivier Torres.
5. Toute innovation est d’abord condamnée au ridicule
Pour le chef d’entreprise, rebondir n’est toujours pas aisé. Olivier Torres a listé trois conditions : se réapproprier le sentiment que l’on est maître de soi, investir une posture d’optimisme et se placer dans une logique d’endurance. “Et l’amour ?” s’est risqué l’essayiste Idriss Aberkane, convoquant ici Steve Jobs, fondateur d’Apple, qui dans une interview filmée expliquait à quel point la passion était consubstantielle du succès. « Toutes les révolutions ont été digérées à la faveur d’un même cycle d’appréciation : on les a d’abord considérées comme ridicules, avant de les juger dangereuses, puis de les admettre au rang des évidences », a développé Idriss Aberkane. Un exemple ? Le vote des femmes : « Ridicule, dangereux, évident ». Tout comme la République,
l’abolition de l’esclavage ou l’apartheid. C’est dire qu’avant d’obtenir la bénédiction de l’évidence, toute innovation de rupture doit faire face au mépris. D’où la force salvatrice de la passion, a soutenu Idriss Aberkane, résumant son propos en une entraînante injonction : « Love can do ! »