Entre les défis d’aujourd’hui et ceux de demain : témoignages d’experts-comptables bien occupés, mais confiants

S’il y a un mal qui semble toucher la grande majorité des experts-comptables (et bien d’autres professionnels d’ailleurs !), c’est le manque de temps. Les journées sont toujours trop courtes pour satisfaire les demandes des clients, répondre aux collaborateurs et gérer les exigences administratives. L’expert-comptable court sans cesse, espérant toujours que « ce sera plus calme après la période fiscale », mais constatant avec frustration que ce n’est pas le cas.

« Certes, les outils digitaux et l’automatisation nous font gagner du temps. Mais en parallèle, les réglementations évoluent sans cesse, et les obligations administratives s’alourdissent », déplore Corinne Lemaître, expert-comptable dans le Val-d’Oise et présidente de l’AEC 95. « De plus, le temps que nous gagnons dans le traitement des dossiers est souvent réinvesti pour en gérer davantage », complète Thibault Joignaux, collaborateur au sein d’un cabinet parisien.

Corollaire du manque de temps, la difficulté à recruter des collaborateurs expérimentés, ainsi qu’un turn over élevé, constitue un autre point de douleur largement partagé. « Attirer les jeunes talents est difficile : beaucoup préfèrent travailler en entreprise plutôt qu’en cabinet. Et pour les cabinets, recruter des profils expérimentés venus de l’entreprise est compliqué, car ils ne sont pas familiarisés avec nos méthodes de travail. Au final, cela limite le champ des candidats potentiels », déplore Corinne Lemaître.

Bonne nouvelle : malgré ces contraintes, les professionnels du chiffre restent passionnés par leur métier et particulièrement attachés à la relation qu’ils entretiennent avec leurs clients. « Les chefs d’entreprise nous font confiance, c’est très valorisant », explique Thibault Joigneaux. « D’ailleurs, complète Corinne Lemaître, ceux qui ont tenté les plateformes digitales reviennent souvent vers nous, après avoir constaté que la qualité de conseil et d’accompagnement n’est pas du tout la même. »

La polyvalence du métier et l’absence de routine entretiennent l’enthousiasme en cabinet.    « La digitalisation libère des tâches répétitives et ouvre la voie à de nouvelles missions », se réjouit Vincent Lacome, qui s’est formé aux outils de datavisualisation et explore également les possibilités offertes par l’intelligence artificielle. « Ces outils permettent de proposer des missions plus utiles aux entreprises et d’améliorer nos processus internes, ce qui nous fait encore gagner du temps », se réjouit-il. Même optimisme chez Corinne Lemaître, qui voudrait développer davantage de missions de conseil sur les questions sociales. « Entre le vieillissement de la population et la réforme des retraites, de plus en plus de dirigeants d’entreprise ont besoin d’être accompagnés pour préparer leur avenir. En tant qu’expert-comptable, nous sommes donc très légitimes pour les accompagner. »

« Malheureusement, tempère Vincent Lacome, développer et promouvoir ce type d’accompagnement à forte valeur ajoutée reste un défi. Ceux qui arrivent le mieux ont souvent fait le choix de se spécialiser. Cela suppose une organisation de cabinet différente, moins de récurrence et souvent d’autres profils de collaborateurs. » « La profession souffre également d’un problème d’image, complète Corinne Lemaître : il est encore difficile de vendre des missions complémentaires, les clients considérant souvent que le conseil fait partie de notre prestation de base. »

La transformation des cabinets, tiraillée entre la nécessité de changer et le manque de temps, semble parfois avancer à petits pas. Dans ce contexte, la facture électronique apparaît comme un levier décisif. « Même si nous avons déjà commencé à nous adapter, l’obligation légale va jouer un rôle d’accélérateur, comme l’a fait la crise du Covid pour la digitalisation », analyse Vincent Lacome. Corinne Lemaître est du même avis : « Dès que la date de la réforme sera définitive, ce sera notre priorité. »

Le changement ne pourra toutefois pas se faire sans l’engagement des collaborateurs, s’accordent à dire nos trois témoins. « Les convaincre de la nécessité d’évoluer et les embarquer dans la transformation des cabinets est une condition-clé de succès, résume Corinne Lemaître. Hélas, ce n’est pas si simple : beaucoup sont encore réfractaires au changement, que ce soit par peur d’être remplacé par l’IA, par manque de temps pour se former ou simplement parce qu’ils préfèrent ne pas sortir de leur zone de confort. » « Contrairement à ce qu’on imagine parfois, complète Thibault Joignaux, les jeunes ne sont pas toujours à l’aise avec les solutions digitales, il faut faire preuve de pédagogie pour leur prouver les avantages. »

« Pour transformer son cabinet, on est parfois tenté d’attendre que ce soit plus calme. J’essaye désormais plutôt d’appliquer la stratégie des petits pas, explique Vincent Lacome. Régulièrement, je consacre une heure à automatiser certains process. Ses micro-changements finissent petit à petit par faire une vraie différence. »