La digitalisation est-elle une menace pour la profession ? Lors des Universités d’été, en septembre dernier, un atelier a été consacré à cette question délicate, qui divise les experts-comptables. Et si nous faisions le point ?

Virginie Roitman
présidente de la commission Répression de l’exercice illégal
Pour certains, les robots comptables risquent de voler une partie de leur clientèle. Pour d’autres, leur utilisation constitue une opportunité importante de développer une activité de conseil en libérant le temps lié à des tâches répétitives. « Ce qui fait la différence entre un robot comptable et un expert-comptable, c’est l’expertise humaine », insiste Virginie Roitman, présidente de la commission répression de l’exercice illégal. « Un robot a une capacité d’analyse limitée. Si tous ses clients déduisent des frais de vêtements, le robot les déduira. Un expert-comptable, lui, expliquera pourquoi ça n’est pas possible». Faut-il tourner le dos à ces outils ? L’Ordre doit-il pour-suivre les plateformes qui ne sont pas créées par des experts-comptables pour exercice illégal ?« La solution n’est surtout pas juridique », explique Virginie Roitman. « Les avocats ont poursuivi des plateformes comme justice.com et prudhomme.com et ils ont perdu. Nous préconisons plutôt de se servir de ces robots et de les mettre à disposition des clients. Et en contrepartie, de faire plus de conseil. » Ainsi, certains experts-comptables ont déjà pris les devants pour tirer parti de ses outils, en les intégrant à leur fonctionnement.

Exercice illégal : condamnation inédite
La couverture d’exercice illégal, une complicité désormais plus lourdement sanctionnée par le Juge pénal.
Suite à une enquête de la Brigade Financière de Paris, le 10 septembre 2019, le Tribunal Correctionnel de Paris a jugé coupables deux prévenus ; l’un du délit d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable et l’autre de complicité d’un tel délit.
Dans cette affaire, l’illégal a reconnu les faits et le délit, mais le professionnel du chiffre a contesté être un couvreur.
Le tribunal a condamné l’illégal à 4 mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 € d’amende.
De manière inédite, il a condamné l’expert-comptable à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 € d’amende.
Les deux sont, en outre, solidairement condamnés à verser à l’Ordre 1 500 € de DI et 1 500 € au titre de l’article 475-1 du CPP.
Ainsi, pour la première fois dans une affaire de cou-verture d’exercice illégal, le complice (l’expert-comptable) a écopé de peines plus sévères que celles appliquées à l’illégal. Le Juge a en effet estimé que le professionnel du chiffre était encore moins excusable que l’auteur du délit principal, en raison de l’exemplarité dont il doit faire preuve en tant que professionnel.
Dans le même temps, devant la Cour d’Appel de Ver-sailles dans une affaire similaire, le procureur général a également mis en avant dans son réquisitoire, la responsabilité aggravée d’un expert-comptable pour-suivi pour complicité par couverture. Le prononcé de l’arrêt est en délibéré.

Interview

Eric Hainaut
expert-comptable co-fondateur du Groupe Emargence, utilise,
dans le cadre de son activité, outils numériques et robots comptables.
Avec profit, pour son équipe comme pour ses clients.
Quels outils numériques utilisez-vous ?
Avec mes clients indépendants ou profession libérale, nous utilisons One Up, un logiciel de gestion destiné aux toutes petites entreprises. Pour les entreprises, Quick books et Silae (logiciel de paie) nous ont semblé plus adaptés. Tous se servent de Receipt Bank, qui envoie factures et reçus par téléchargement direct, e-mail, connecteurs ou via l’application mobile vers le logiciel comptable.
Comment passe-t-on d’une comptabilité traditionnelle à une comptabilité numérique ?
Nous avons commencé avec notre clientèle de clients indépendants et professions libérales, en industrialisant nos process : mise en place des procédures de saisie, affection des différentes tâches… L’organisation et la segmentation de clientèle sont primordiales. Lorsque tous les dossiers ont été industrialisés, automatiser les tâches, via les outils, devient plus facile. Une quarantaine de nos clients ont accepté d’être bêta-testeurs avec One Up. Grâce à leurs retours, nous avons construit notre discours et notre offre. Lorsque l’offre a été marketée, nous avons basculé tous les clients : aujourd’hui 100 % de nos clients libéraux et indépendants sont sur la plateforme.
Et pour vos clients entreprise ?
C’est plus compliqué à mettre en place, car chaque activité a ses spécificités. Nous avons environ 200 dossiers numériques sur 3000. Nous avons commencé par les dos-siers les plus faciles comme les prestataires de service, les coachs, les entreprises de formation…
L’offre société est marketée à l’identique de celle des libéraux mais la progression est plus lente car il n’y a pas d’industrialisation.
Pourquoi avoir choisi deux robots différents ?
Pour éviter la dépendance avec un seul produit. L’utilisation de One Up, plus simple, est idéale pour les libéraux qui ont une comptabilité de type recettes-dépenses. Quick Books nécessite d’avoir des connaissances en matière comptable. 100 % de nos dossiers paie sont traités avec Silae. Pour le moment, nous l’utilisons en interne, sans interactivité avec les clients. A terme, nous voulons les habituer à remplir les variables en ligne, au lieu d’utiliser Excel, mais changer les habitudes prend du temps.
À quoi faut-il être particulièrement vigilant pour que le passage au numérique réussisse ?
La formation des clients est primordiale. Nous n’ouvrons pas de compte client tant qu’ils n’ont pas suivi la formation que nous leur proposons, et nous n’acceptons pas ceux qui ne veulent pas jouer le jeu. Nous avons d’ail-leurs perdu 4 clients qui ne voulaient pas travailler avec un robot. Lorsque la formation ne fonctionne pas, après plusieurs essais, nous nous séparons de nos clients. Quant au recrutement des collaborateurs : ils doivent avoir envie d’utiliser le numérique.
Au final, quels bénéfices avez-vous tiré de ce passage au numérique ?
Les opérateurs de saisie étant moins qualifiés, cela permet d’augmenter la marge et les collaborateurs plus qualifiés peuvent ainsi consacrer plus de temps à leurs clients. Avec Receipt Bank, la collecte de l’information est grandement facilitée, ce qui diminue le stress lié à la recherche de l’in-formation. Nous n’avons pas gagné en rentabilité mais en confort : nous avons plus d’interactivité avec nos clients sans diminuer nos prix. Ils y gagnent aussi la possibilité de suivre leur compta en ligne, d’automatiser la facturation et les devis, d’avoir accès à des tableaux de bord en temps réel.